Projet Lexikhum : Communication Kinesthesique Humain-Machine
Le but de ce projet est de construire un lexique d’unités de sens kinesthésiques qui permettraient d’aborder l’interaction physique homme-robot comme une phrase combinant ces unités de sens. L’émergence de ces unités de sens est étudié dans des interactions humain-humain et le projet est d’en extraire les parties programmables en faisant des modèles computationnels pour construire des partenaires virtuels, capable de produire une interaction aussi naturelle qu’avec un humain. Ses unités de sens visent à être développées et étudiées par une équipe pluridisciplinaire composée de chercheures et chercheurs qui placent le caractère cognitif de cette interaction au cœur de leur recherches. La quantification de la qualité des interactions humain-humain et humain-partenaire virtuel est un apport espéré de ce projet, car il donnera une base d’unités avec une connaissance précise de son caractère vraisemblable et de sa compréhensibilité lorsque cela vient d’un humain et lorsque cela vient d’un partenaire virtuel.
Le contexte
L’automatisation au cœur de notre quotidien – Les mutations technologiques à l’œuvre dans les systèmes complexes (comme en aéronautique) ont profondément modifié l’interaction entre l’humain et la machine. Au fil de cette évolution, les opératrices et opérateurs se sont retrouvés face à des systèmes de plus en plus complexes et de plus en plus automatisés. Si le public a bien souvent été fasciné par l’ingéniosité de tels systèmes, de nombreuses tragédies plus ou moins récentes montrent à quel point l’interaction entre l’humain et les automatismes reste un problème sensible. Ainsi, de nombreux travaux soulignent les conséquences négatives en matière de sécurité et de performance d’une automatisation des systèmes : difficultés pour détecter les erreurs ou pannes du système (Kessel & Wickens, 1982), pour comprendre son état courant (Sarter, Woods, & Billings, 1997) et pour déterminer les actions appropriées pour la suite de la tâche (Endsley, 1999). Ces difficultés d’interaction entre l’humain et l’automatisme constituent un enjeu de recherche majeur. Ce projet a pour ambition de participer à la compréhension et la compensation de ces difficultés d’interaction entre l’humain et les automatismes.
La difficile mais nécessaire intelligibilité des systèmes – L’opacité des agents artificiels est considérée comme une cause majeure de ces difficultés (Christoffersen & Woods, 2002 ; Dekker & Woods, 2002). En effet, le manque d’informations renvoyées par le système sur son propre fonctionnement et, en amont, par le manque de dialogue possible portant sur le statut de l’information transmise, sont des éléments centraux dans les difficultés rencontrées par les opératrices et opérateurs. Les systèmes complexes actuels ont tendance à développer des cascades de réactions automatiques qui diminuent, voire éliminent la capacité des opérateurs à prédire leur fonctionnement et provoquent des événements démesurés et imprévisibles (Taleb, 2012). Ce manque d’information renvoie à ce que l’on a classiquement appelé « l’opacité du système ». L’opacité des systèmes artificiels a tendance à rendre difficile la compréhension des intentions de ces agents artificiels. Cet état de fait est de nature à engendrer des difficultés d’anticipation/compréhension des actions de mon partenaire artificiel, générant par là même des difficultés en termes de coordination, d’acceptabilité et de sentiment de contrôle. En ce sens, l’intelligibilité des systèmes artificiels (par exemple, le fait de produire un comportement clair, prévisible et compréhensible) constitue un défi majeur par la communauté en ingénierie des systèmes.
Nous pensons qu’il est possible d’utiliser le sens haptique (combinaison du sens du toucher et de la kinesthésie) afin de rendre les systèmes artificiels plus intelligibles, plus prédictibles. Cependant, si nous considérons l’existence d’une communication, alors nous devons pouvoir envoyer et recevoir des messages clairs et complets sans perturber la tâche, ou en tout cas de manière comparable à un partenaire humain. Pour cela, nous souhaitons tout d’abord identifier les informations nécessaires à la coopération. Ensuite, nous souhaitons produire des messages kinesthésiques permettant de transmettre ces informations. Nous ferons notamment évoluer nos modèles pour obtenir un comportement dont le message est le plus clair possible pour l’utilisatrice et l’utilisateur. Le taux de compréhension de ce message chez les personnes testées sera notre mesure principale. Nous espérons ainsi construire un lexique, une base de messages, dont l’utilisation effective autant que la validité sera mesurée statistiquement, le projet étant à terme de combiner ces messages pour construire une communication complexe et augmenter ainsi les capacités de communication des machines lors des interactions humain-robot. Nous appellerons ces messages des unités de sens kinesthésiques. Ces unités pourront s’agencer en messages complexes appelés discours kinesthésiques, autrement dit des enchaînements d’unités de sens kinesthésiques qui mettent au clair l’intention, le statut de l’information. Nous évaluerons finalement l’impact de ces messages sur l’utilisabilité et l’acceptabilité de fonctions d’assistance au pilotage, ainsi que leur impact sur le sentiment de contrôle de l’opératrice et l’opérateur humain.
Les objectifs
L’objectif de ce projet est de rendre intelligible les machines à travers l’interaction kinesthésique. Pour atteindre cet objectif quatre sous-objectifs ont été identifiés :
- définir un cadre théorique de la communication kinesthésique,
- analyser les conditions de l’action conjointe et leurs modèles psychologiques pour l’interaction humain-humain,
- comprendre et modéliser les mécanismes en jeux dans une telle communication (il s’agira de construire un lexique de l’interaction kinesthésique),
- implémenter ce lexique dans des agents artificiels afin d’améliorer leur intelligibilité par l’opératrice et l’opérateur humain et supporter la coopération humain machine.
Les résultats
Le laboratoire a développé un robot permettant d’étudier les interactions à un degré de liberté : SEMAPHORO-1D (Système d’Evaluation de la Manipulation Physique Homme-Robot).
Ce système a permis de mettre en valeur une unité de sens kinesthésique pour la négociation binaire (Gauche-Droite). Cette unité de sens est paramétrable et permet de montrer un comportement plus ou moins dominant (Roche et Saint-Bauzel ICRA19, THRI accepted). Cette interface a permis aussi d’étudier la notion d’agentivité dans la décision collaborative et a montré à l’heure actuelle que les partenaires virtuelles ne permettent pas de produire un sentiment de contrôle de l’interaction. Ce sentiment de contrôle a été mesuré avec des mesures de l’ « intentional binding » (Grynszpan et al., Concog 19). Enfin cette interface à permis de montrer que l’interaction kinesthésique est un moyen implicite et rapide pour transmettre la confiance (Piezzulo, Roche et Saint-Bauzel, Nature ScR 20).
Partenariats et collaborations
Le projet scientifique collaboratif ANR réuni les chercheurs et chercheurs suivant :
- Bruno Berberian, Chargé de Recherche à l’ONERA dans le laboratoire DTIS, spécialisé dans l’ergonomie et la mesure de performance de l’interaction,
- Camille Debras, Maître de Conférences à l’Université Paris-Nanterre, spécialiste en gestualité et linguistique,
- Ouriel Grynszpan, Professeur à l’Université Paris-Saclay – laboratoire LIMSI, spécialisé dans les sciences cognitives et les questions d’intelligence sociale,
- Aliyah Morgenstern, Professeur à l’Université de Paris Nanterre – laboratoire MoDyCo, spécialiste en Linguistique développementale et langue des signes,
- Ludovic Saint-Bauzel, Maître de Conférence à Sorbonne Université – laboratoire ISIR, spécialisés dans les sciences de l’ingénieur et de l’information et les sciences du vivant,
- Claudia Savina Bianchini, Maître de Conférences à l’Université Poitiers – laboratoire FORELLIS, spécialiste de linguistique et plus particulièrement dans la gestualité par la langue des signes.
Ce projet est aussi source d’une collaboration internationale avec :
- Giovanni Pezzulo Chercheur au CNR (Centre National de Recherche Italien) dans le laboratoire ISTC (Institut des Sciences et Technologies de la Cognition).