Le développement des neurosciences contribue à mieux comprendre les processus qui sont à la base des grandes fonctions psychologiques. Comprendre la variété des réseaux cérébraux ou les différences de mécanismes neurophysiologiques aide à mieux appréhender la diversité des comportements exprimés.
Mehdi Khamassi, directeur de recherche au CNRS, réalise ses activités de recherche à l’interface entre les neurosciences et la robotique. L’objectif principal de ses recherches est de comprendre quels mécanismes d’apprentissage peuvent permettre aux agents autonomes de montrer une flexibilité comportementale et des capacités d’adaptation dans leur environnement partiellement inconnu et changeant.
Son livre sur les neurosciences cognitives propose une introduction aux recherches actuelles à l’interface entre psychologie, neurosciences et modélisation.
En quoi faire des neurosciences à l’ISIR est différent que dans un laboratoire de neurosciences expérimentales ?
La grande différence, c’est qu’on ne baigne pas au quotidien dans le milieu où se font les expériences neurobiologiques chez l’humain ou chez l’animal, mais plutôt dans le milieu où se discutent les aspects théoriques et où se font les expériences sur des robots.
C’est complémentaire à ce qui se fait dans les autres laboratoires. Cela permet de prendre du recul par rapport aux données, pour adopter une vue plus large, mieux ancrée dans la théorie. Par exemple, en se demandant d’un point de vue normatif quels calculs un agent devrait tenter de faire pour que son comportement soit le plus adapté à la variété d’environnements à laquelle il est exposé. Après avoir trouvé une réponse à cette question du côté théorique, on peut revenir vers les données expérimentales. On peut essayer d’en faire sens en regardant si le cerveau semble réaliser certains de ces calculs d’une manière qui ne soit pas forcément spécifique à la tâche expérimentale, mais plus générale. En ce sens, on trouve parfois des explications à des activités cérébrales mesurées ou à des comportements observés expérimentalement, qui ne semblent pas optimaux ou rationnels par rapport à la tâche en jeu, mais s’avèrent en réalité adaptés à la variété des situations auxquelles l’agent est confronté dans sa vie.
À l’extrême inverse, il faut faire attention à ne pas être trop loin des données ! Il me semble toujours bon d’avoir vu de près du comportement humain/animal et à quoi ressemble l’activité cérébrale enregistrée en laboratoire pour pouvoir concevoir des modèles computationnels pertinents. J’ai moi-même travaillé plusieurs années dans des laboratoires de neurosciences expérimentales par le passé. Et dans l’équipe AMAC à l’ISIR nous continuons d’avoir des échanges fréquents avec des expérimentalistes pour (1) concevoir de nouvelles expériences visant à tester les prédictions des modèles, et (2) pour confronter les données récoltées à ces mêmes modèles.
En retour, travailler au quotidien dans un laboratoire de robotique et d’Intelligence Artificielle peut permettre d’informer les collègues de ces domaines sur ce qu’on sait du fonctionnement du cerveau, en espérant que cela puisse constituer une source fertile d’inspiration et de biomimétisme.
En quoi travailler à l’ISIR colorie ta façon de voir et a influencé le contenu de ton livre ?
Travailler à l’ISIR a contribué à façonner ma façon d’aborder la cognition. Être plongé dans un laboratoire qui fait des recherches en robotique ou en Intelligence Artificielle permet de se nourrir des avancées dans ces domaines. Ce sont des sources d’inspiration qui peuvent aider à enrichir les modèles pour les neurosciences et la psychologie.
En effet, lorsque l’on cherche comment permettre à un robot de choisir de manière autonome ses actions et d’apprendre sur la base des conséquences de ses actions, on trouve parfois des solutions qui nous aident à mieux comprendre la nature des mécanismes nerveux qui sous-tendent des problèmes similaires dans le cerveau biologique.
On peut aussi mentionner que la robotique oblige à penser le rôle du corps dans la cognition, et pas juste comment des programmes d’intelligence artificielle désincarnés doivent résoudre les problèmes auxquels le robot est confronté. Comme ces marcheurs passifs dynamiques mis au point dans les années 90 à l’Université de Cornell, qui produisent un mouvement de marche fluide par la simple dynamique des articulations mécaniques du robot, sans pilotage par le moindre algorithme.
La robotique nous oblige aussi à penser à comment faire communiquer différentes fonctions cognitives (perception, décision, mouvement, apprentissage, etc.) dans une même architecture, dans un même agent. Cela nous oblige donc à prendre en compte les interactions entre différents mécanismes supposés impliquer différentes aires cérébrales, et à formuler de nouvelles hypothèses sur ces interactions.
Pour toutes ces raisons, je pense que l’ISIR a contribué à ce que ma vision de la cognition soit à un niveau très systémique. C’est une vision très proche de celle des sciences cognitives. C’est pour cela que mon livre aborde à la fois des questions de perception et de mouvement, de cognition sociale et non-sociale, de langage et d’action, de décision et de méta-cognition, de mémoire et de conscience.
Une des originalités du livre est de proposer un chapitre d’initiation à la modélisation computationnelle, avec du code source ouvert associé. La modélisation pour les neurosciences et la psychologie a connu un grand essor récemment, et n’apparaît encore que trop rarement dans les manuels existants de neurosciences cognitives.
« Neurosciences cognitives », par Mehdi Khamassi
Les éditions de Boeck Supérieur vont publier le 12 octobre 2021 un ouvrage intitulé « Neurosciences cognitives », dirigé par Mehdi Khamassi, qui propose une introduction aux recherches actuelles à l’interface entre psychologie et neurosciences.
Le champ de la psychologie s’est incroyablement étendu et diversifié depuis que les sciences cognitives ont fait leur apparition, à tel point qu’il devient difficile, pour l’étudiant, de se repérer parmi les multiples disciplines. Quel est le rapport entre processus psychologiques et réseaux neuronaux ? Comment se traduisent les soubassements neurologiques dans la psychologie des individus ? Autant de questions auxquelles répond ce livre organisé selon les principales fonctions psychologiques : l’action, l’attention, le langage, la mémoire et la perception, leurs soubassements neurobiologiques, leurs dysfonctionnements pathologiques ainsi que leur remédiation thérapeutique.
Alors que de nombreux manuels universitaires francophones sont monodisciplinaires, introduisant soit les neurosciences, soit la psychologie en général, il s’agit de mettre en avant comment les deux disciplines se sont nourries mutuellement pour aborder de grandes fonctions cognitives telles que la perception, l’attention, le mouvement et l’espace, la mémoire, la cognition spatiale, la prise de décision et l’action, le langage, la conscience, la métacognition ou encore la cognition sociale.
L’ouvrage s’adresse principalement aux étudiants en licence ou en master de psychologie ou de neurosciences qui veulent combiner les deux disciplines ou s’intéressent à leur articulation. Il s’adresse également à celles et ceux qui souhaitent s’initier à la modélisation computationnelle pour ces deux disciplines. Mais les chapitres sont rédigés d’une façon suffisamment accessible pour que toute personne non-spécialiste qui s’intéresse aux neurosciences et à la cognition puisse s’y référer et y trouver des éléments d’initiation et d’approfondissement.
Chaque chapitre se focalise sur une fonction cognitive particulière, et s’appuie à la fois sur l’étude du comportement d’une part, et l’imagerie cérébrale ou la neurophysiologie d’autre part, pour élucider les mécanismes neurophysiologiques sous-jacents. Comprendre la variété des réseaux cérébraux en jeu, ou les différences de mécanismes neurophysiologiques, nous aide à mieux appréhender la diversité des comportements exprimés, et les raisons pour lesquelles ils sont affectés différemment dans différents troubles ou pathologies neuro-psychiatriques.
Contact référent : Mehdi Khamassi, Directeur de recherche CNRS